Les VDN, de l'apéro au digestif...
Avec un peu de retard voici le compte rendu de la très belle dégustation de mardi dernier. Le thème de cette dégustation était les Vins Doux Naturels du Roussillon représentés par les appellations Maury et Rivesaltes. On aurait également pu trouver le Banyuls, certainement le plus connu des vins de cette catégorie, mais nous avons préféré nous consacrer aux deux autres appellations. Il ne vous restera plus qu’à profiter d’un week-end à la plage pour explorer la piste du délaissé Banyuls !… Pour commencer, quelques rappels sur les VDN. Ce sont des vins mutés obtenu par l’adjonction d’un alcool neutre (90°) en cours de fermentation. Ceci a pour effet de stopper la fermentation ou en d’autres termes de faire « taire » les levures (d’où le nom de vin « muté ») laissant ainsi une proportion importante de sucres non transformés en alcool dans le vin. Cette opération de mutage peut se faire sur grain (ajout de l’alcool en cuve alors que la vendange macère) ou sur jus après séparation de la phase liquide et du moût. On obtient ainsi des vins d’environ 16° pour 90 à 110g/l de sucres résiduels. On va ensuite avoir différents types d’élevage selon qu’on veuille avoir un vin sur le fruit (rimage ou vintage à Porto) pour lequel on choisira un élevage court ou qu’on privilégie l’aspect oxydatif par un élevage plus complexe. Pour ce dernier type de vin, on trouvera de longs élevages en foudre ou en barriques non ouillées pour permettre l’oxydation du vin au contact de l’air. Parfois le vin passera ces premières années en bonbonnes de verre laissées à l’extérieur et soumises aux aléas de la météo. Cet élevage très particulier développe des arômes de noix, de fruits secs et de torréfaction et permet au vin de se conserver relativement longtemps après ouverture de la bouteille (ce qui n’est pas le cas des rimages pour lequel le bon vieil adage « quand le vin est tiré, il faut le boire » s’applique parfaitement !). Pour ce qui est des cépages, enfin, on trouvera classiquement le Grenache (blanc, gris ou noir) parfois complété de Macabeu et de Malvoisie pour les blancs et de Syrah ou de Carignan pour les rouges.
Après avoir longuement hésité, on choisit de débuter, une fois n’est pas coutume, par les rouges. Deux bouteilles sont proposées : La Ceriseraie 2006 du Domaine des Schistes et la Cuvée prestige 15 ans d’âge du Mas Amiel. Ces deux Maury s’opposent complètement et illustrent à merveille la différence exposée ci-dessus entre un rimage et un vin oxydatif.
La Ceriseraie tout d’abord est un vin 100% Grenache noir issu de vignes plantées sur des coteaux arides de schistes bruns favorisant une forte maturité. L’élevage est fait pour conserver le fruit, avec un court passage de 5 mois en barrique pour assouplir les tanins. La couleur est rubis avec des nuances violettes. Le nez, assez discret, est marqué par les fruits noirs très mûrs (mûre, myrtille) ainsi que des touches de réglisse. Malgré le mutage et 16° au compteur, l’alcool n’est pas agressif au nez. En bouche , l’alcool est généreux mais bien équilibré par le gras (sucre) et les tannins. Avec belle longueur et un bon potentiel de garde (jusqu’à 15 ans), ce vin est une bonne entrée en matière et présente un bon rapport qualité prix (13€). A boire sur un foie gras, un canard laqué ou simplement sur du chocolat. C’est ce que l’on a fait, avec une belle sélection des chocolats d’Emmy à Villefranche (noisettes caramélisées, amandes grillées et feuillantine) appréciés par l’ensemble des dégustateurs.
En opposition on trouve le Maury du Mas Amiel, lui aussi à base de Grenache noir (90%) complété de Macabeu et de Carignan. Pour ce vin, l’élevage favorise l’oxydation avec un passage en bonbonne d’une année puis 9 ans en foudres de chêne de 350hl. Sa couleur acajou avec des reflets tuilés contraste immédiatement avec celle du vin précédant. Le nez est intense avec des notes de figue sèche (Figolu), de banane séchée et de pruneau. Viennent dans un deuxième temps des arômes de tabac, de noix, d’épices et un côté rhum raisin. En bouche, l’attaque est tonique et marquée par une bonne acidité (surprenante pour un vin de 15 ans d’âge). L’alcool est présent et les tannins sont parfaitement fondus donnant au vin une parfaite rondeur. La finale très longue avec une légère amertume est marquée par des arômes de noyau de pruneau et de noix verte. Ce vin, très complexe, est l’un des plus intéressants de la soirée. Parfait aujourd’hui et d’un bon potentiel de garde il constitue à 23€ une très belle bouteille. A boire tout seul ou en fin de repas avec un cigare…
Après les rouges, on passe sur une sélection de vins blancs choisis avec différents degrés d’évolution. Le tout est accompagné de fromages de chez Xavier : de la fourme (l’alliance entre VDN et fromages persillées étant un classique), du munster et du soumaintrin.
On commence par un Maury blanc du Mas Lavail (11€) à base de Grenache blanc (100%) produit dans la vallée de l’Agly sur un vignoble en terrasses. Ce vin à boire jeune et sur le fruit est élevé en barrique sur fines lies pendant 8 mois. Sa teinte est dorée et le nez, moyennement ouvert, est très (trop) marqué par le bois et la vanille ainsi que des arômes de poire et de raisin faisant presque penser à un muscat. L’ensemble est douceâtre et fait craindre un certain maquillage du vin… En bouche, le vin est chaud et le manque d’acidité le déséquilibre et lui donne une certaine lourdeur (voire une lourdeur certaine). En deux mots (choisis) on est plus proche de Carmen que de l’Infante…
Vient ensuite un Rivesaltes du Domaine des Schistes, cuvée Solera (13€). A base de Grenache gris complanté de quelques souches de Macabeu, le vin est élevé en cuve ciment puis en foudre et demi-muids. Aucun récipient n’est ouillé pour favoriser l’oxydation et l’assemblage final contient plusieurs millésimes dont les plus vieux ont environ 20 ans. D’une teinte ambrée et d’une parfaite limpidité, le vin se caractérise tout de suite par son côté rancio très marqué (noix, plombières, noyau de cerise). En bouche, l’alcool est très présent donnant une sensation de chaleur un peu désagréable. La longueur est intéressante mais moins complexe que le Mas Amiel (le côté noix étant prépondérant).
On franchit ensuite un échelon, avec le Rivesaltes 1970 du Domaine Sarda-Malet (35€). A base de Grenache (40% de blanc, 30% de gris et 30% de noir), il est issu de vignes d’une moyenne d’âge de 45 ans. D’une belle teinte ambrée, il surprend par un premier nez « Michoko » sur la cacao et le caramel. Puis le côté rancio prend le dessus avec des arômes de noix, de figue sèche et de pain d’épices. Moins puissant que le précédent il est cependant plus fin. La bouche est moins complexe que le nez avec un côté « piquant » rappelant la feuille de tabac et le cigare. A déguster avec des chocolats au havane de chez Belin ! Un millésime intéressant mais pas la meilleure bouteille de la soirée n’en déplaise au président de la section, né lui aussi en 1970…
Pour finir, voici la cuvée Aimé Cazes 1978 du Domaine éponyme. A base de Grenache blanc (80%) et noir (20%), ce vin a bénéficié d’un élevage en foudre de chêne de plus de 20 ans, l’évaporation naturelle provoquant l’oxydation recherchée (au terme de son élevage les 2/3 du volume se sont évaporés !). Comme le vin précédent, la teinte est ambrée mais elle est plus intense. Le nez est lui aussi plus exubérant et fait beaucoup plus jeune (le côté oxydé étant moins marqué). On trouve des arômes de prunelle, d’épices (gingembre, cannelle) et d’orange amère (chamonix). En bouche, l’attaque est fraîche et plus vive que le précédent. Le vin présente une structure équilibrée et une belle longueur. C’est certainement le vin le plus complexe avec le Mas Amiel et il est assurément à son apogée. On finit donc sur une très bonne bouteille, hélas à 70€ !
Conclusion, une dégustation très intéressante loin des clichés d’apéritifs au camping… dommage que de nombreuses personnes inscrites à cette dégustation n’aient pas pu finalement y assister ! Le rappel quelques jours avant la dégustation semble nécessaire, on rectifiera le tir dès la prochaine fois.