Compte rendu de la soirée du 28 mai
C’est avec un peu de retard que je vous communique le compte rendu de la dernière dégustation, mais avec les beaux jours, il est quand même plus agréable de lézarder un verre à la main que de prolonger sa journée sur internet !
La dernière séance fut très intéressante car d’une part elle nous a fait (re)découvrir Philippe Fezas et le domaine de Chiroulet, et que d’autre part elle nous a fait toucher du bout des doigts (ou plutôt des papilles) le métier d’assembleur !…
C’est avec une double casquette que Philippe Fezas est venu nous faire une présentation : tout d’abord celle de « Tonnelier » puisque représentant de la société Seguin Moreau (un des fleurons hexagonal en matière de barriques), ensuite celle de vigneron avec une présentation choisie de certains vins du domaine de Chiroulet.
Une première partie, donc, consacrée à l’élevage du vin en barrique (le vin est bel et bien « élevé » et non « vieilli ») et à une présentation très intéressante sur l’élément principal à savoir le bois. Celui-ci influence à la fois la couleur et la limpidité du vin, son arôme et surtout sa structure en bouche, sa rondeur et sa persistance.
La barrique a été inventée par nos ancêtres les Gaulois (on ne leur doit pas que la bière et la mode des moustaches !). Tout d’abord en châtaignier ou en acacia (bois trop tanniques et au goût trop prononcé de sève) elle était enduite de paraffine pour assurer son étanchéité. C’est au fil du temps qu’on s’est aperçu qu’elle était bien plus qu’un contenant et qu’elle pouvait sublimer le vin et le soutenir dans sa typicité lorsqu’elle était réalisée en chêne. C’est grâce à Colbert que la France reste une référence en matière de tonnellerie. En effet c’est dans les hautes futaies, initialement destinées à fournir des mats pour la marine, qu’on trouve les pièces nécessaires à l’élaboration d’un tonneau. Il faut 250 ans d’un travail méthodique pour avoir un chêne dans lequel on pourra tailler deux barriques bordelaises d’un prix de 600€ ! Comme les tortues de mer, 500 000 petits chênes devront être plantés pour obtenir 100 pièces à l’arrivée. C’est l’INF et ses 7000 fonctionnaires qui aujourd’hui perpétuent ce travail (Sarko touche pas à mon tonneau !).
Le chêne de haute futaie est donc le bois idéal en tonnellerie. En effet sa composition moléculaire est très proche de celle du vin puisque contenant des « ellagitannins » (proche des tannins du vins et se combinant avec eux) et des composés aromatiques complétant la palette olfactive du vin. La balance entre ces deux composants est différente entre les espèces de chêne et leur provenance. Très tannique dans le Limousin, le bois sera utilisé pour les spiritueux, plus aromatique dans le Centre on l’utilisera pour les vins rouges et les grands blancs, équilibré dans les Vosges il sera préféré pour les vins blancs et les rouges légers. Ces différences d’équilibre sont corrélées (mais pas encore tout à fait expliquées) par la grosseur du grain du bois (cercles concentriques du tronc), le grain le plus fin correspondant aux tanins « nobles ». Côté aromatique, le bois possède de nombreux marqueurs comme le lactone (arômes de noix de coco très présent dans le chêne américain), l’eugénol (épices, clou de girofle), la vanilline, les composés furaniques (grillé, caramel) mais aussi le moins recherché nonénal (goût de planche). Le chêne français reste le bois le plus recherché, même si on trouve aussi du chêne américain aux arômes très (trop) marqués et du chêne russe intéressant d’un point de vue tannin mais peu aromatique.
Avant de pouvoir réaliser une barrique, le bois est taillé en respectant la fibre puis maturé pendant plus de deux ans. Il est ensuite cintré puis cerclé pour en arriver à ce que tout le monde connaît : le tonneau ! Dernière étape, la chauffe de la barrique qui développe les arômes (grillé, fumé, épicé) et amoindrit les tanins et l’influence de la lactone (noix de coco). Le vigneron dispose alors d’une palette de « bois » avec laquelle il devra jouer pour obtenir un parfait équilibre entre complexité aromatique et équilibre en bouche. Mais si un bon choix de barrique peut transcender un vin, un mauvais choix pourra littéralement l’anéantir. N’est pas artiste qui veut !
On passe ensuite aux travaux pratiques avec une dégustation de 3 échantillons (assemblage Merlot/Tannat) élevés dans 3 barriques différentes. Le premier laisse ressortir le fruit et la barrique semble peu influencer le vin. Il s’agit en effet d’un fût de chêne français, vieux de deux ans. Le second échantillon est le plus fin ; aux arômes de fruit, se combinent des notes épicées et des notes de brioche. En bouche on a une sensation plus acide, plus astringente qui laisse présager d’un bon potentiel de garde. Une barrique de haute futaie française (chauffe moyenne) est utilisée sur cet échantillon. Le dernier vin est de toute évidence le plus aromatique avec des côtés caramel , barbe à papa, café, noix de coco. Il est également moins tannique que le précédent. Une barrique de chêne américain (chauffe moyenne +) est utilisée pour ce dernier vin. Une partie de l’auditoire a été séduit par cette opulence aromatique que l’on trouve souvent dans les vins espagnols ou les vins du nouveau monde. Un dernier échantillon nous donne enfin l’assemblage du maître de cérémonie (5% de chêne américain et 95% de chêne de HF) qui sera la cuvée Grande Réserve 2007. L’équilibre en bouche est très intéressant mais l’on sent l’apport de l’assemblage plus en bouche qu’au nez (nez très proche de l’échantillon 2).
Après avoir « travaillé », le repos du guerrier avec la dégustation des blancs du domaine. Un Terre Blanches 2007 tout d’abord (50% Gros Manseng, 30% Sauvignon, 20% Ugni Blanc) ; ce vin blanc sec issu d’un terroir calcaire est marqué par une belle vivacité (acidité) et des arômes de fleurs blanches, de fruits frais et de pierre à fusil (marqueur du Gros Manseng sur un terroir calcaire). La côte d’Heux 2007, récoltée plus tard dans la saison, montre un côté beaucoup plus gras et des arômes plus complexes de fruits mûrs (ananas, litchi) et de boisé. Si l’attaque de ce vin est plus grasse, il reste (grâce au Manseng) d’un belle acidité ce qui en fait un vin pouvant aller d’un bout du repas à l’autre. Le Soleil d’Automne 2007, enfin, est un vin réalisé à base de Gros et Petit Manseng passerillés (séchage au soleil et au vent pour concentrer les sucres et l’acidité). On est là sur des arômes de fruits confitsbonne acidité (abricot sec, ananas). Avec 45g de sucres résiduels, il est lui aussi (et cela tranche avec son nez classique de liquoreux) d’une .
On finit par Le temps des fleurs 2008, un rosé de saignée, avec une bonne tenue en bouche (à la limite de la sensation de tanin) et des arômes de bonbon anglais que certains apprécieront certainement !…
En conclusion, une soirée très intéressante qui, je l’espère, aura satisfait un large auditoire ! Merci à Frédéric Fabre pour l’organisation de cette dégustation et au mois prochain pour une surprenante dégustation de ce qui se fait le mieux dans le Jura !….